Des banques refusent des versements de leurs clients en faveur de la Palestine. Plusieurs témoignages l’attestant nous sont arrivés. Le dernier fait état d’un refus de la Banque cantonale genevoise (BCGE) d’un don en faveur de l’Unrwa (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient) sur son compte à la Banque de Palestine.

Quand il a compris que la banque refusait définitivement de faire la transaction en Palestine, Kaspar Muehlemann a été profondément choqué.

«J’ai du mal à trouver des mots justes pour qualifier cette bassesse. On ne pourrait plus envoyer un sou en Palestine, alors que des gens sont en train d’être massacrés en permanence? C’est incroyable», affirme-t-il.A lire aussi: Guerre au Proche-Orient: l’armée israélienne bombarde Rafah, violences en Cisjordanie

Banque zélée?

Le Genevois n’a pas voulu en rester là. Il a demandé des explications à la banque cantonale. Dans une réponse écrite que nous nous sommes procurée, signée par deux fondés de pouvoir, la BCGE indique ceci: «Le paiement que vous avez ordonné le 25 février 2024 en faveur d’Unrwa en Palestine ne correspondant pas à notre politique d’affaires, nous n’avons pas été en mesure d’y donner suite.»

La banque indique encore être «tout à fait disposée à exécuter ce même paiement auprès d’une banque en Suisse».

La BCGE contribue à imposer un embargo financier sur le peuple palestinien, en le privant de recevoir des paiements qui lui étaient pourtant destinés.

Kaspar Muehlemann, client

Pour Kaspar Muehlemann, la direction se comporte comme une «autorité tutélaire», qui prend des décisions à la place de ses clients. «Elle contribue à imposer un embargo financier sur le peuple palestinien, en le privant de recevoir des paiements qui lui étaient pourtant destinés», dénonce-t-il.

Il a adressé à sa banque deux mises en demeure pour qu’elle exécute le virement. Contactée par nos soins, la BCGE se refuse à toute réponse à nos questions, y compris sur sa politique générale concernant la Palestine, invoquant le secret bancaire.

Détenus majoritairement par les pouvoirs publics

Le Genevois a également interpellé le Canton et la Ville de Genève. «La décision de la banque est d’autant plus surprenante qu’il s’agit d’une entreprise détenue majoritairement par les pouvoirs publics», relève-t-il. Ensemble, l’Etat, la Ville et les communes détiennent en effet 72,6% de ses actions.

Dans un courrier adressé au Conseil d’Etat et au Conseil administratif, Kaspar Muehlemann leur demande d’intervenir immédiatement pour mettre fin à une politique de paiement jugée discriminatoire. La Chancellerie nous indique que l’exécutif cantonal prendra connaissance du courrier lors d’une prochaine séance et ne prendra pas position avant.

Blocages récurrents

La Ville relève pour sa part n’avoir pas «suffisamment d’éléments pour se positionner», sans avoir connaissance des raisons exactes motivant cette décision de la BCGE. «Des explications seront recherchées», précise Yannick Richter, chargé de l’information pour le Conseil administratif.

Notre département des affaires juridiques estime qu’il n’y a aucune raison légale légitime pour qu’une banque rejette les paiements à l’Unrwa.

Jonathan Fowler, chargé de communication de l’Unrwa

L’agence onusienne indique par le biais de son service de communication qu’elle a pris connaissance ces derniers mois de ce qui semble être des transferts bloqués par des banques, sans en avoir de vue générale.

«Notre département des affaires juridiques estime qu’il n’y a aucune raison légale légitime pour qu’une banque rejette les paiements à l’Unrwa et que toutes les banques devraient veiller à ce que les paiements puissent être effectués», indique Jonathan Fowler, chargé de communication.

Pas un phénomène isolé

L’affaire n’est pas un phénomène isolé. Présidente de l’association Parrainages d’enfants de Palestine, sise à Genève, Michèle Courvoisier ne parvient plus à faire de virements à son association partenaire en Cisjordanie depuis le 7 octobre.

«Nous avons essayé plusieurs banques suisses, rien ne passe. Les banques renvoient la balle à leurs intermédiaires, qui bloqueraient les transactions en invoquant la conformité réglementaire», explique-t-elle.

Face à ses demandes de clarification, aucune banque n’a accepté de lui transmettre des informations par écrit, indique-t-elle. Depuis, l’organisation passe par une banque européenne, ce qui renchérit ses coûts d’envoi.

Versement bloqué

Et ce ne sont pas seulement les virements vers la Cisjordanie ou Gaza qui sont visés. UBS bloque les versements de ses clients sur le compte suisse de l’association Parrainages d’enfants de Palestine.

Madeleine Zufferey, donatrice, l’a appris à sa grande surprise. Le versement qu’elle a effectué en faveur de l’association lui est venu en retour.

Cette décision pas du tout lié à des motifs politiques, mais à une appréciation des risques liés à de telles transactions.

Jean-Raphaël Fontannaz, porte-parole d’UBS

«Selon les directives UBS, UBS n’effectue pas de telles transactions», est-il indiqué sur son ordre de retour, que nous nous sommes procuré. «J’ai trouvé très bizarre que la banque refuse mon paiement, sans justification. Apparemment juste parce qu’elle a vu le mot ‘Palestine’», réagit la donatrice.

Un autre donateur, fâché du refus, a pris un rendez-vous avec la banque, qui ne s’est pas avéré concluant. «Face à une telle catastrophe humanitaire, la position d’UBS va au-delà de l’entendement», martèle Laurent Mozer.

«Appréciation des risques»

L’association Parrainages d’enfants de Palestine est familière de cette situation, qui dure depuis plusieurs années. «On s’est déjà trouvé avec un grand trou dans le financement de nos parrainages», témoigne Michèle Courvoisier.

Contactée, UBS rappelle que sa décision de limiter les versements à destination de la Palestine remonte à plus de quinze ans. «Ce n’est pas du tout lié à des motifs politiques, mais à une appréciation des risques liés à de telles transactions, notamment en lien avec des décisions internationales en matière de sanctions et d’embargo», affirme son porte-parole Jean-Raphaël Fontannaz.

Il précise que des versements destinés à des «organisations humanitaires reconnues», telles que le CICR ou Caritas, continuent d’être exécutés.

A noter que la cellule de renseignement financier de la police fédérale a envoyé une alerte aux acteurs de la finance en novembre dernier, leur demandant de prendre garde au financement du terrorisme «par des collectes de fonds qui abusent d’organisations à but non lucratif». Les banques ont l’obligation d’annoncer les cas de soupçons fondés.

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